Plongée au coeur d'un pays complexe et fascinant

lundi 3 novembre 2008

Plan du site


PLAN DU SITE

7° Les ex-votos (culture populaire)

3ème chronique mexicaine : Le zapatisme, à la genèse de l'altermondialisme.

5° Personne ne sort indemne de la Zona (critique cinéma)

4° Incursion dans l'univers carcéral mexicain (2de partie, suite et fin)

2
ème chronique mexicaine : "à bas la loi de la gravitation"

2° Incursion dans l'univers carcéral mexicain (1ère partie du reportage)

1ère chronique mexicaine : Observateur des droits humains au Chiapas





Droits d'auteur :
Sauf mention explicite, tous les textes et photos figurant sur ce site sont de l'auteur du blog. Merci de me demander si vous comptez en utiliser :
http://www.bourlingue@gmail.com


Actualité du site :
- Création d'un site consacré spécialement à mes photographies. Chacun des 7 albums est à considérer en soi comme un voyage virtuel, une porte vers d'autres horizons. Asseyez-vous confortablement, mettez une musique planante et laissez-vous porter grâce à l'option diaporama. Le lien figure dans la colonne de droite sous la rubrique "mes autres blogs". Cliquez sur Picasa.

- J'ai enquêté cet été 2008 à Ciudad Juarez, à la frontière avec les Etats-Unis, sur le phénomène des plus de 400 femmes assassinées, et sur la guerre sans merci que se livrent les cartels de la drogue dans cette ville. Des articles sont en cours d'écriture mais il me faut déjà retranscrire et traduire les entrevues que j'ai réalisées et ça prend beaucoup de temps. Donc, patience, chers lecteurs

- Toujours sur le thème du femenicide de Ciudad Juarez, je devrais donné une conférence en Guadeloupe, le 19 novembre. Je vous tiens au courant dès que c'est confirmé.

Ex-votos mexicains

LES EX-VOTOS

Les ex-votos au Mexique sont de petites peintures, en général peintes sur des rectangles de tôle où les Mexicains rendent grâce pour des miracles obtenus. L’église de la Purísima Concepción à Real de Catorce, dans le nord du Mexique est consacrée à San Francisco de Asis, Saint François d’Assise. Ce saint est réputé dans tout le nord-est du Mexique pour les miracles qu’il prodigue à ceux qui s’adressent à lui dans les situations de détresse. Lorsque le saint vous exauce, la tradition veut que vous lui offriez un ex-voto que vous irez accrocher vous-même, en pèlerinage, à Real de Catorce. J’ai pu cet été photographier le résultat de 80 ans de cette pratique, le plus ancien ex-voto daté dans cette église remontant à 1928, le plus récent réalisé en 2008.

L’ex-voto, est avant tout l’expression de la ferveur religieuse populaire des Mexicains mais c’est aussi autant de témoignages sur les différentes époques où ils ont été réalisés. On voit l’évolution vestimentaire, avec par exemple les femmes recouvertes du châle traditionnel dans les années 50 ou l’apparition de la minijupe dans les années 70. On observe l’importance des paysages, montagneux, souvent majestueux, qui caractérisent ces contrées, et que j’ai pu apprécier cet été. Et puis surtout c’est un fantastique témoignage du quotidien des Mexicains, de leur mode de vie, de leurs préoccupations.

On y découvre les inquiétudes du monde rural avec les épidémies qui frappent les animaux (Saint François en est le protecteur), les craintes pour les récoltes, etc. On aborde aussi toutes sortes de problématiques sociales, comme la question migratoire vers les Etats-Unis qui apparaît ici dès 1962, les accidents causés par des éboulements dans les mines, la criminalité avec des tentatives de meurtre. On voit comment les gens espèrent échapper à l’enrôlement de force dans l’armée, ou le désespoir des gens emprisonnés et de leurs proches. Chaque œuvre est en soi une petite chronique, tout en poésie.

Il y a aussi les drames de la vie bien sûr, les accidents de voiture (ou de cheval), les catastrophes naturelles, les maladies, avec chaque fois une épilogue heureuse puisqu’il y a lieu de remercier Saint François selon ceux qui lui offrent un ex-voto ! On assiste également aux drames familiaux, les enfants brandissant une machette contre le beau-père haï au grand désespoir de leur mère ou l’enfant qui a disparu sur le pas de sa porte et qui réapparait des mois plus tard.

Toutes ces scènes sont peintes avec une expression naïve, très expressives. Elles reflètent de façon artistique une vision du monde où le merveilleux n’est jamais bien éloigné du quotidien des gens. La souffrance est sublimée par l’intervention divine et l’ex-voto recrée un univers où la nature, la prière, la condition humaine, et l’au-delà s’ordonnent harmonieusement dans une unité retrouvée. L’ex-voto est donc créateur de sens, il donne une lecture du monde au-delà des drames intimes.

Découvrez toutes les photos en cliquant sur ce lien : http://picasaweb.google.fr/bourlingue


vendredi 27 juin 2008

3ème chronique mexicaine

LE ZAPATISME, A LA GENESE DE L'ALTERMONDIALISME


1° Un mouvement d’un genre nouveau

L’altermondialisme est un mouvement contestataire né sur les ruines du mur de Berlin. Pour faire vite, on peut dire que les altermondialistes ont tiré des leçons des désastreuses expériences soviétique ou chinoise et rejettent l’embrigadement de parti, le dogmatisme et la pesanteur d’une hiérarchie qui finit par étouffer les principes révolutionnaires. Ils ont donc adopté un mode de fonctionnement extrêmement déconcertant pour le système qu’ils tentent de renverser : ils n’ont ni leader, ni direction, ni structure établie. Ils ne sont aux ordres d’aucun pays et ne dépendent que d’eux-mêmes. Dans ces conditions, il est quasiment impossible de décapiter l’altermondialisme, d’acheter ses dirigeants, puisqu’il n’en a pas, de leur promettre des sièges, puisqu’ils ne sont pas organisés en parti ou de faire pression sur lui d’une quelconque façon si ce n’est par la brutale répression policière comme on l’a vu à Gênes, notamment. C’est l’apparition à l’échelle planétaire d’un contre-pouvoir citoyen balbutiant, mais déjà particulièrement efficace. Dans un premier temps, les médias l’ont qualifié d’anti-mondialiste, créant un amalgame douteux avec les souverainistes et autres factions d’extrême-droite qui prônent un repli sur la nation comme solution à la mondialisation néolibérale. Or les altermondialistes sont dans une toute autre logique. Ils sont résolument internationalistes et tentent d’apporter une réponse collective, bien au-delà des frontières étatiques, au capitalisme, qui lui est mondialisé depuis longtemps. Les altermondialistes, selon la formule lancée par le Monde Diplomatique, pensent eux, qu’"un autre monde est possible" et ont commencé à se battre pour y parvenir.


2° Une guérilla antimilitariste !

Alors vous me direz, quel rapport avec le zapatisme, organisé en armée, avec en son sein une hiérarchie bien établie et une structure rigide inhérente à toutes les armées, fussent-elles aux ordres du peuple pour lequel elle se bat ? Pour commencer, il faut rappeler que les zapatistes eux-mêmes, aussi paradoxale que cela puisse paraître, sont des anti-militaristes convaincus. Ils n’ont pris les armes qu’en dernier recours après que toutes les voies pacifiques et démocratiques aient été piétinées dans le sang par une dictature aussi autiste que barbare. Dans un communiqué du 6 mars 1994, le sous-commandant Marcos écrit « Nous avons décidé un beau jour de devenir soldats pour qu’un jour il n’y ait plus besoin de soldats. C’est-à-dire que nous avons choisi un métier suicidaire parce que c’est un métier dont l’objectif est de disparaître.(…) Ici nous vivions plus mal que les chiens. Nous avons dû choisir : vivre comme des animaux ou mourir en hommes dignes. » En cohérence avec leurs idées, les zapatistes ont clairement indiqué que selon eux, les membres d’une structure militaire ne doivent en aucune manière assumer une charge politique. Cela les engage naturellement. Il est ainsi exclu que les guérilleros zapatistes deviennent un parti politique puisqu’ils ont dû prendre les armes. Le simple fait que Marcos se fasse appeler sous-commandant au lieu de commandant ou généralissime est un clin d’œil qui montre bien le recul par rapport à la hiérarchie militaire.


3° Quand les citoyens se lèvent

Le mouvement zapatiste partage avec l’altermondialisme la croyance qu’un autre monde est possible (« un monde où beaucoup de mondes auront leur place »), rejette lui aussi tout dogmatisme et entretient la critique des structures rigides, à commencer par la sienne ! Mais fondamentalement, ce qui caractérise l’altermondialisme, ce sont ces grands rassemblements, regroupant des individus, des associations et des organisations du monde entier. Tous partagent une même aspiration, celle d’un monde plus juste et plus démocratique, qui ne soit plus dirigé en fonction des intérêts des multinationales. On a tous en mémoire les impressionnantes manifestations de Seattle en 1999, où des dizaines de milliers d’altermondialistes se sont opposés à une conférence réunissant 133 pays dans le cadre de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Cette réunion avait pour objet d’ouvrir d’avantage les marchés des biens, des services et des produits agricoles au dépens des populations. En dépit d’une très violente répression, la conférence sera un échec et dans ce contexte très tendu d’insurrection populaire, aucun accord ne pourra être adopté. Cet événement très médiatisé mettra en évidence le désaveu d’une partie consciente de plus en plus importante de la population mondiale. Cette dernière n’entend désormais plus voir son avenir se décider sans qu’on la consulte et contre les intérêts de l’immense majorité. Ensuite, il y aura le rassemblement de Gênes en Italie contre le sommet du G8 et des Forums Sociaux Mondiaux à Porto Alegre au Brésil en 2001, 2002, 2003 et 2005 ; en Inde en 2006, à Nairobi au Kenya en 2007. Le prochain est prévu en 2009 à Belem au Brésil. Les forums Sociaux sont des réponses citoyennes au Forum Economique Mondial qui se réunit à Davos en Suisse chaque année.


4° L’acte fondateur de l’altermondialisme

Or, si Seattle a été le premier grand rassemblement d’altermondialistes venus du monde entier à être très médiatisé, un autre l’avait précédé de trois ans, au Chiapas. Ce premier rassemblement, dans la genèse de l’altermondialisme, les zapatistes l’ont appelé avec l’ironie et l’optimisme qui les caractérisent : les Rencontres Intergalactiques. Les observateurs inattentifs n’y ont vu alors qu’une manœuvre des zapatistes pour rompre l’isolement dans lequel le gouvernement mexicain espérait bien les maintenir. C’était, nul ne le nie plus aujourd’hui, quelque chose de beaucoup plus ambitieux et d’une importance fondamentale pour la résistance au néolibéralisme. « Contre l’internationale de la terreur que représente le néolibéralisme, nous devons élever l’internationale de l’espoir. L’unité par-dessus les frontières, les langues, les couleurs, les cultures, les sexes, les stratégies et les pensées, de tous ceux qui préfèrent l’humanité vivante. L’internationale de l’espoir. Pas la bureaucratie de l’espoir, pas l’image renversée et, par là même, semblable à ce qui nous anéantit. Pas le pouvoir sous un signe ou un habillage nouveau. Mais un souffle, le souffle de la dignité. Une fleur, la fleur de l’espoir. Un chant, le chant de la vie. La dignité est cette patrie sans nationalité, cet arc-en-ciel qui est aussi un pont, ce murmure du cœur quelque soit le sang qui le vit, cette irrévérence rebelle qui se moque des frontières, des douanes et des guerres. (…) » Au-delà du style poétique de Marcos, on comprend qu’il ne s’agissait pas de soutenir les zapatistes, ou de se placer sous leur bannière. C’est la réalisation d’une des priorités que se sont fixées les zapatistes : créer des espaces démocratiques, une tâche à laquelle ils n’ont jamais renoncé au fil des années. Ce rassemblement c’est sous le mot d’ordre de « Contre le néolibéralisme et pour l’Humanité » qu’il a été lancé et des milliers de militants du monde entier y ont répondu en 1996.

Bien sûr, les zapatistes n’ont pas la prétention de revendiquer la création de l’altermondialisme. Ce mouvement était en gestation et tôt ou tard serait apparu. Mais les zapatistes ont été l’étincelle. Ils ont montré également à quel point leur vision du monde était en phase avec l’air du temps, comment ils ont su comprendre et même anticiper le nouvel esprit de résistance planétaire. Voilà pourquoi, on ne peut résumer les succès du zapatisme aux seuls acquis concernant directement les communautés zapatistes du Chiapas. Du coup de butoir donné au régime de Parti-Etat du PRI en passant par le rôle fondateur joué dans la constitution de l’altermondialisme, l’apport de ceux qui se revendiquent d’Emiliano Zapata est bien plus profond qu’on ne pourrait le soupçonner au premier abord.

(à suivre)
Trikess (FG)

Critique cinéma


PERSONNE NE SORT INDEMNE DE LA ZONA



1° Le renouveau du cinéma mexicain


Après l’âge d’or du cinéma mexicain dans les années 50, la production
mexicaine se réduisait pour l’essentiel et à de rares exceptions près (comme Rojo Amanecer[1] de Jorge Fons) à de mauvaises comédies. Or, depuis peu, le Mexique, à l’instar de la France, consacre une partie des revenus de tous les films qu’il diffuse, y-compris les méga-productions hollywoodiennes, au financement des productions locales. Ca a pour effet de revitaliser profondément l’activité cinématographique de ce pays...


Ainsi, on voit depuis la fin des années 90 surgir toute une génération de jeunes réalisateurs talentueux et ambitieux, qui ont su conquérir un large public, bien au-delà des frontières nationales. Je pense notamment à Carlos Carrera (Le crime du père Amaro[2]), Arturo Ripstein (Pas de lettre pour le colonel[3]), Guillermo del Toro (L'échine du diable[4]), et surtout Carlos Reygada (Bataille dans le ciel) et Alejandro González Iñárritu (Les amours chiennes[5]). Jorge Fons, pour sa part, ne s'est pas arrêté à Rojo amanecer et a tourné notamment l'excellent Callejon de los milagros, avec Salma Hayek, adaptation très mexicaine d'un roman de l'Egyptien Naghib Mahfuz.



2° Un monde clos qui bascule dans la folie criminelle


Dans cette veine, sort en France en ce moment, le premier long métrage de Rodrigo Plá, un jeune Mexicain très prometteur: La zona, propriété privée. C’est un film très noir qui se passe à Mexico et illustre un phénomène qu’on retrouve dans toute l’Amérique latine : les quartiers entourés de palissades et contrôlés par des vigiles privés dans lesquels les nantis se barricadent comme dans de véritables forteresses. « Qu’est-ce que je dirai à mon fils quand il grandira et qu’il me demandera pourquoi nous vivons derrière un mur ? », s’interroge un des rares personnages du film à remettre timidement le système en question. Dans la Zona, trois jeunes parviennent à pénétrer dans l’enceinte ultra-sécurisée de la zone résidentielle à côté de leur quartier populaire et miséreux. Ils se livrent à un cambriolage qui tourne mal : la propriétaire des lieux les surprend et braque une arme sur eux. Frappée et désarmée, elle se met à hurler. Le plus agressif des trois étouffe ses cris mais elle n’y survivra pas. S’ensuit une fusillade : deux des garçons sont tués et l’un des gardiens est lui aussi abattu, par erreur, par un habitant de la Zona. Les résidents vont décider d’étouffer l’affaire, de faire disparaître les corps et d’expliquer à la veuve du vigile qu’il s’est suicidé avec son arme de service. Mais un élément menace encore la trouble harmonie qui règne à la Zona. Cet élément, c’est Miguel, le troisième gamin et seul survivant de cette expédition cauchemardesque. Apeuré et complètement dépassé par les événements, il ne comprend pas comment il s’est laissé embarqué dans cette histoire. Les voisins se mobilisent et entreprennent une véritable chasse à l’homme pour le retrouver et le tuer parce qu’ils représente à leurs yeux une menace et parce qu’il est devenu un témoin gênant.



3° Une violence qui a des racines, une histoire


Cette fiction n’est pas si éloignée d’une certaine réalité vécue en Amérique Latine. L’existence d’escadrons de la mort en Colombie ou au Brésil l’atteste, avec ces policiers payés par les commerçants d’un quartier pour exterminer la nuit, en dehors de leur service officiel, les enfants de la rue, potentiels délinquants. Je pense également à certaines pratiques qu’on m’a rapportées au Guatemala : lorsqu’un petit voleur est surpris sur certains marchés, il est poursuivi, attrapé et roué de coups par la foule en furie, puis on l’asperge d’essence avant de le transformer en torche vivante. Ces faits d’une violence extrême sont révélateurs des importants disfonctionnements et carences de l’état. Depuis bientôt 30 ans, tous ces pays ont scrupuleusement suivi les instructions néolibérales du FMI dont Dominique Strauss-Kahn s’enorgueillit (avec tout le parti socialiste français) d’être le nouveau président. Pour continuer à obtenir des prêts internationaux, ces nations en principe souveraines, à commencer par le Mexique dès 1982, ont du se plier à des réajustements structurels. Ceux-ci les ont menés à sacrifier tout ce qui est service public (santé, justice, police, éducation, etc.) au dépens du secteur privé et des exportations (pour rembourser la dette).


Ces mesures n’ont fait qu’accroître la pauvreté et le désespoir qui conduit une partie de la jeunesse sans avenir à se tourner vers l’exil ou la délinquance. Dans le même temps, la police mal formée, sous-payée et par conséquent complètement corrompue ne remplit plus son rôle de protection des citoyens. Pire, les policiers profitent souvent de leur pouvoir pour commettre tous types d’exactions et sont redoutés par la population qu’ils sont censés protéger. Cette conjoncture pousse ceux qui en ont les moyens à faire appel aux vigiles privés. Une autre conséquence est que les gens, ne pouvant compter sur la police, sont tentés de rendre la justice par eux-même avec toutes les dérives fascistes que cela peut entraîner.



4° La peur qui conduit à la barbarie


Le film de Rodrigo Plá nous montre des gens ayant un très bon niveau social, avec une bonne éducation, souvent des pères et des mères de famille aimants. Il dévoile les mécanismes qui font que ces gens qui ont précisément en commun de rejeter la violence de la rue, vont soudain basculer dans la barbarie. C’est la peur qu’ils éprouvent face à l’intrusion d’un élément extérieur perçu comme une remise en cause de leur tranquillité qui va déchaîner toute cette haine. Cette peur de la différence, sociale en l’occurrence, pousse les résidents, dans un inquiétant mouvement grégaire, à vouloir sacrifier Miguel au nom de l’intérêt supérieur de la communauté. La Zona se referme sur lui comme un véritable piège à rat duquel il va tenter de s’échapper. Quelques rares habitants vont tenter de faire entendre un message discordant au long du film, mais la pression du groupe les contraint au silence et à la résignation. Seul un jeune du même âge que Miguel va l’aider.



5° "Dans ce monde, trop de murs et pas assez de ponts "

Dans une série de reportages radiophoniques récents, Daniel Mermet[6] s’est rendu à Tijuana, pour enquêter sur la frontière qui sépare les Etats-Unis du Mexique. Il a pu lire sur le "mur de la honte[7]" un tag du côté mexicain qui dénonçait : « dans ce monde, trop de murs et pas assez de ponts ». Les habitants de la Zona pensaient être à l’abri des problèmes sociaux qui secouent Mexico derrière leur mur. C’est la peur de la délinquance qui les a conduit à vivre en vase clos. Au fur et à mesure que les inégalités s’accroissent, le réflexe du repli sur soi a tendance à se généraliser et c’est là où La Zona dépasse la problématique mexicaine voire latino-américaine. Les privilégiés du monde entier bâtissent des murs pour se protéger des plus défavorisés : ça commence par les quartiers comme la Zona au Mexique mais ça se poursuit avec un mur entre pays comme le mur qui sépare les Etats-Unis du Mexique ou Israël des territoires palestiniens. Ca tient à une politique d’aménagement du territoire en Europe qui va repousser loin des centre-villes les populations les plus fragiles et concentrer la misère et les problèmes dans des banlieues sordides. C’est l’Union Européenne enfin qui à l’échelle continentale est en train de se construire comme une forteresse de pays riches, avec des politiques de plus en plus agressives et restrictives vis-à-vis de l’immigration venue du sud.



6° Inquiétantes caméras


Les images des caméras de surveillance, qui quadrillent la Zona sont omniprésentes dans le film et portent un regard froid et gris sur cet univers clos, qui se voulait un petit paradis et se révèle un enfer. Elles sont oppressantes et rajoute à l’inhumanité du système. Elles expriment la volonté de tout vouloir contrôler. Là encore, on peut établir un parallèle avec ce qui se passe en Europe, où le tout sécuritaire nous conduit à truffer nos villes de ces cyclopes espions. Toujours dans ses reportages sur la Frontière mexicano – Etats-unienne, Mermet témoigne de la présence de caméras de surveillance placées à intervalle régulière sur le mur qui sépare les deux pays. L’objectif à court-terme est de transformer le citoyen landa en auxiliaire de police. Il pourra, dès que le système sera opérationnel, observer un petit coin de la frontière tranquillement sur internet depuis chez lui. Dès qu’il apercevra un latino-américain tentant de rentrer clandestinement sur le territoire etats-uniens, il décrochera son téléphone et n’aura plus qu’à dénoncer héroïquement le malheureux qui risque sa vie afin de trouver un travail pour nourrir sa famille restée au pays. Ceausescu en a rêvé, Bush va le réaliser…



7° Déshumanisation

Ce film nous pousse à réfléchir sur cette peur de l’autre qui peut nous conduire au pire et dont certains hommes politiques ont fait leur fond de commerce et pas seulement à l’extrême-droite. Rodrigo Plá analyse ici intelligemment les mécanismes d’exclusion et de rejet qui nous déshumanisent tous, aussi bien ceux qui en souffrent que ceux qui les mettent en pratique. Il dénonce les réflexes grégaires qui ont tôt fait de balayer nos beaux principes et la difficulté de se dresser contre une majorité fanatisée.



Il pose en filigrane la problématique de cette illusion selon laquelle on peut fragmenter la planète entre Nord et Sud, créer des forteresses et laisser impunément crever le reste du monde ; l’illusion qu’on peut, dans nos villes, isoler les quartiers pauvres des quartiers riches. Enfin et surtout, Plá nous montre qu’il est illusoire de penser qu’on peut collaborer, contribuer à un système qui repose sur d’insupportables inégalités sociales, sans en payer le prix, à un moment ou à un autre. Un film dur mais de ceux dont on peut dire qu’on est plus tout à fait le même en ressortant de la salle obscure que lorsqu’on y est entré...


Trikess (FG

lundi 14 avril 2008


[1] Rojo amanecer :excellent film qui revient sur le massacre de centaines d’étudiants mexicains le 2 octobre 68 sur la place de Tlatelolco, dite des 3 cultures. Ils s’étaient réunis là à la suite d’une manifestation dans le cadre des mouvements de protestation de la jeunesse, qui ont eu lieu un peu partout dans le monde cette année là. Le président Diaz Ordaz a voulu faire place nette avant les JO de 68 à Mexico.

[2] El crimen del padre Amaro : adaptation du roman eponyme du grand écrivain portugais José Maria Eça De Queiroz


[3] El coronel no tiene quien le escriba : adaptation du roman de Gabriel García Márquez par Arturo Ripstein, qui commença par être assistant pour Buñuel. C’est le moins jeune de la liste.


[4] El espinazo del diablo : film d’épouvante qui se déroule dans un orphelinat espagnol durant la guerre civile.


[5] Los amores perros : Iñarritu est aussi le rélisateur de 21 grammes et de Babel avec Brad Pitt. Il se caractérise notamment par la construction narrative avec plusieurs histoires qui évoluent en parallèle avant de se rejoindre.


[6] Daniel Mermet conduit l’excellentissime émission de reportages engagés Là bas si j’y suis, du lundi au vendredi sur France Inter à 15h00. Vous pouvez réécouter ses émissions sur www.là-bas.org .


[7] Afin de dissuader les clandestins mexicains de traverser la frontière avec les Etts-Unis, la plus longue frontière qu'un pays riche partage avec un pays pauvre, Georges W Bush avec l'approbation notamment d'Hilary Clinton et de Barack Obama, a décidé d'ériger un mur dans l'esprit de celui de Berlin mais cette fois entre deux pays capitalistes, l'un pauvre, l'autre extrêmement riche. Une des conséquences de ce mur est que les clandestins sont obligés de passer par des endroits encore plus dangereux et que des centaines d'espaldas mojadas meurent chaque année en tentant de trouver un futur meilleur aux Etats-Unis.

Reportage


INCURSION DANS L'UNIVERS CARCERAL MEXICAIN

(2de partie – suite et fin)



1° LE PETIT CHAPULTEPEC


Pour qu’on puisse parler librement, Paco m’invite à le suivre « je vais lui montrer Chapultepec » annonce-t’il à ses parents. On redescend les escaliers et on arrive à une vaste zone qui fait tout le tour du bâtiment. Là encore, la scène est surréaliste, on se croirait en ville : il y a tout un tas de petits buibuis, d’aucuns vendent des tacos, il y a beaucoup d’artisanat réalisé par les prisonniers, des tobogans et des jeux pour les enfants, des couples sont allongés sur des couvertures, sous des bâches, qui forment autant de petites alcôves alignées contre le mur. Certains discutent tranquillement, d’autres regardent tout simplement les passants déambuler.


Plus loin, d’autres tentes de fortune du même style présentent la particularité d’être fermées. Paco me fait comprendre que les couples y trouvent l’intimité nécessaire à leurs ébats.

« Le prisonniers qui possédait ces tentes là vient de les revendre pour 5000 pesos car il est sur le point de sortir.

- Et il les louait ?

- Bien sûr. TOUT ici se monnaye, tout est question d’argent. Il y a aussi des petits pavillons. Tu fais la demande auprès de l’administration et une fois par semaine tu as le droit, moyennant finance, encore une fois, de passer une soirée avec ta femme. Mais si tu n’as pas envie de faire la demande toutes les semaines ou d’attendre le samedi (il y a 4 jours de visite par semaine), il y a les solutions alternatives. » me répond-il en désignant de la tête les petites tentes. Je te montrerai autre chose toute à l’heure… »




2° LE SOURIRE DE LA MOSCA


Je m’arrête à un stand et achète un petit tableau représentant la vierge de Guadalupe, vierge amérindienne, plus vénérée, dans le très catholique Mexique, que le Christ lui-même. Le travail est remarquable : de loin on croirait une peinture, en fait, c’est réalisé avec des fils habilement tendus de couleur vert, rouge et or. Il faut un sacré savoir-faire pour réussir ce tour de force. En même temps, celui qui fait ça doit avoir du temps pour arriver à cette perfection. Il n’est plus tout jeune et je ne demande pas combien de temps il a passé ici. Certains sont condamnés comme aux Etats-Unis à quelques centaines d’années de détention, chose qui m’a toujours paru ridicule…


Le jeune qui me le vend, lui, est surnommé la Mosca, la mouche. Il me suggère avec un large sourire édenté de la faire bénir par un prêtre « et comme ça on va tous sortir d’ici ! » J’imagine que pour certains, seul un miracle pourrait effectivement les tirer d’ici. En tout cas, l’endroit est très agréable. C’est bizarre à dire, mais tout ici respire la vie, les enfants qui jouent, les couples qui se prélassent comme au parc, les petits marchands de tout et de rien, etc. J’interroge Paco, amusé :

- Et ça s’appelle vraiment Chapultepec ? (Chapultepec est notamment le nom d’un parc de Mexico où l’ambiance est similaire)

- Oui, c’est vraiment comme ça qu’on l’appelle. »




3° DERRIERE LA PORTE


Paco me raconte aussi que depuis qu’il est là, il a inscrit dans un petit carnet plus de 200 mots d’argot " caneros ". « Canero, par exemple, m’explique-t’il, c’est l’adjectif qui désigne ce qui a trait à la prison. »

Je l’encourage à continuer à écrire, trouvant ça vraiment intéressant. On rediscute un petit peu des circonstances de son arrestation, de son appel pour lequel il attend une réponse. Il me confie que le plus dur pour lui et de ne pas pouvoir appuyer sa famille, ses enfants et sa femme, qui est sans emploi. Puis nous remontons.


Alors qu’on se dirige vers le restaurant, Paco bifurque à droite et ouvre une porte, salue le gars à l’intérieur et me fait signe de passer. Dans l’entrée, sur une petite étagère, des draps et des serviettes soigneusement pliés attendent qu’on les prennent. Paco me montre en tirant un rideau un des lits séparés entre eux par de minces parois. Il m’explique que c’est un des endroits les plus décents pour avoir un peu d’intimité avec sa compagne. Il n’y a probablement pas de couple à cet instant précis car on n’entend aucun bruit. Par contre, comme il n’y a aucune fenêtre, il flotte une odeur de sperme et de sueur. Pas très romantique tout ça…




4° L’ENVERS DU DECORS


De retour au restaurant, on continue à discuter Paco et moi tandis que Leticia bavarde avec ses parents. Paco m’explique que chaque jour, les gardiens extorquent les prisonniers. Chaque détenu doit verser une certaine somme quotidiennement sous peine de se faire violemment passer à tabac. Les rapports avec les gardiens se font dans les dortoirs, pas dans la zone où les visiteurs sont autorisés. « Il faut payer tous les jours, sinon tu passes vraiment un sale quart d’heure. Parfois, des inspecteurs de la commission des droits humains viennent visiter la prison. Ce jour là, les gardiens nous font savoir que celui qui aura le malheur de remettre le fruit du racket journalier devant les inspecteurs se fera massacrer. Du coup, les inspecteurs ne se rendent compte de rien. »


La société parallèle qui s'est installée dans la prison est une carricature de celle du dehors. Pour celui qui a les moyens, la vie est agréable, à l'image de ce narcotrafiquant qui a payé pour avoir son terrain de tennis au coeur de la prison. En revanche, le pauvre lui sera exposé à tous types de violences, d'exploitation. Il m’explique aussi que les amérindiens sont dans un dortoir spécial, juste en dessous des quelques prisonniers européens ou états-uniens à qui ils servent de serviteurs. Ainsi donc la prison perpétue les pires traditions coloniales…




5° L’ENFER DE LA DROGUE


Je laisse Paco avec sa famille et vais faire un tour tout seul à Chapultepec. L’ambiance y est vraiment plaisante, insouciante. Ce contraste me frappe vraiment. J’aperçois tout de même un jeune avec une pipe artisanale en train de fumer ce qui est probablement du crack sans même prendre la peine de se cacher. Pourquoi le ferait-il en effet puisque paradoxalement, dans ce lieu où les prisonniers devraient sentir le poids de la loi, c’est eux qui la font, la loi. Paco m’explique, juste avant qu’on se sépare car la fin des visites approche, qu’il y a un « parrain » par type de drogue dans la prison. La drogue entre ici sans le moindre problème. Si elle venait à manquer, il y aurait une émeute parmi les prisonniers. Les gardiens se sucrent au passage comme sur toutes les matières premières nécessaires à la confection de l’artisanat, à la nourriture qui sera revendue, etc. Certains drogués vivent un véritable enfer, n’ayant pas les moyens de leur vice et s’endettant auprès des trafiquants pour se payer leur dose. S’ils ne sont pas en mesure de régler leurs dettes d’une façon où d’une autre, après plusieurs avertissements et corrections musclées, on les retrouve avec un couteau entre les omoplates ou le crâne défoncé.


« De toutes façons, il faut toujours être sur ses gardes ici, il y a des individus très dangereux. » Je demande enfin à Paco s’il y a des membres des Maras, ces gangs ultra violents qui se sont créés entre les Etats-Unis et l’Amérique Centrale et qui sont en train de gagner le Mexique comme une gangrène. Sa réponse m’étonne beaucoup, j’aurais cru le contraire :

« Oui bien sûr, il y en a, tu les reconnais à leurs tatouages mais ici ils ne fonctionnent pas en tant que pandilla, que gang. Ici, c’est chacun pour soi. »


Trikess (FG)


La prochaine fois que je reverrai Paco, ce sera en tant qu’homme libre même si lui et moi redoutions le contraire lorsque nous nous sommes donnés l’embrassade d’au-revoir. Paco a été innocenté en appel et a depuis recouvré sa liberté. Heureusement, il avait les moyens de se payer un bon avocat qui a mis en avant les incohérences de l’accusation. Mais pour les milliers d’autres, je parle de ceux accusés à tort, qui n’en ont pas les moyens, ils continuent de croupir au Reclusorio del Sur où dans d’autres prisons du Mexique. Cet article leur est dédié.

2èmes Chroniques mexicaines

« A bas la loi de la gravitation !!!


1° UNE HACIENDA EN RUINES


Lorsqu’on est observateur des droits humains dans une communauté zapatiste au Chiapas, surtout si c’est une petite communauté[11], pour peu qu’on soit un minimum ouvert à l’échange, on entretient avec la population des liens privilégiés. Les filles vont aider les femmes à faire les tortillas à l’aube, on est invité à manger dans certaines familles, les hommes nous emmènent pécher, on se baigne avec eux dans le fleuve, on peut les accompagner à la milpa[12], on joue au foot avec les enfants, on fait la sentinelle jusqu’à l’aube avec ceux qui ont été désignés à cette fin, les jeunes nous emmènent parfois en excursion dans les environs. Seule obligation, ne jamais laisser la communauté sans observateur, mais comme on est plusieurs, on s’organise. Parfois, on nous prête des chevaux pour explorer les environs.


C’est comme ça qu’à l’été 2006, on est allé à plusieurs reprises à cheval jusqu’à une hacienda qui appartenait avant à la famille Castellanos. Ce sont des parents de l’ancien gouverneur du Chiapas, Absalón Castellanos[13], qui a fait fortune notamment dans l’exploitation du bois... En janvier 1994, beaucoup de grands propriétaires terriens qui contrôlaient des territoires immenses ont fui devant le soulèvement zapatiste. Ce fut le cas des Castellanos, que l’EZLN a tout juste autorisé à venir récupérer leur bétail après coup. Douze ans après, leur hacienda est en ruines, les zapatistes ne l’ont pas occupée et la selva a repris ses droits. Il y a quelque chose de surréaliste dans ces colonnes de style grec couvertes de lianes, vestiges saugrenus d’une splendeur édifiée avec le sang et la sueur des amérindiens


[11] Rappelons que les communautés sont les villages amérindiens fonctionnant sur le mode de la communauté [voir 1ère chronique]. Les contacts sont beaucoup plus difficiles à établir dans les grandes communautés, qui disposent généralement d’un espace à l’écart pour les observateurs et dont la population peut être fatiguée du passage de trop nombreux campamentistas qui ne se sont peut-être pas toujours comportés comme ils auraient dû. Beaucoup d’observateurs, par exemple, insistent énormément pour être à la Realidad, dans l’espoir de voir le sous-commandant Marcos. Or, ils y sont souvent en surnombre, alors que leur présence fait cruellement défaut dans de plus petites communautés, plus exposées.


[12] la milpa : le champs de maïs, souvent à flanc de coteau.


[13] Contrairement aux FARC ou autres guérillas existantes ou ayant existées en Amérique Latine, les zapatistes ont une position éthique très claire et préfèrent être mal armés plutôt que de se financer par des braquages ou des enlèvements. Absalón Castellanos a fait exception à la règle, puisqu’il est le seul à avoir été fait prisonnier en 1994 par les zapatistes. Gouverneur corrompu et cruel, il s’est illustré par la répression sanglante des mouvements sociaux sous son mandat. Cependant, il n’a pas été exécuté selon les principes de la loi du talion, nulle rançon ou échange de prisonniers n’a même été exigée pour sa libération. Il a été contraint de travailler un certain temps comme paysan afin de prendre conscience de la dureté des conditions de vie de ceux qu’il contribuait à exploiter. Puis, un jugement populaire l’a condamné pour tous ses crimes aux travaux forcés à perpétuité… Avant que cinq minutes plus tard, l’EZLN, dans sa grande magnanimité, le gracie et le libère !




2° « LA TERRE APPARTIENT A QUI LA TRAVAILLE »


Même s’ils ont délaissé les murs de la luxueuse hacienda, les zapatistes, fidèles au cri d’Emiliano Zapata (« la terre appartient à qui la travaille ») ont fait leurs ces terres où ils étaient jusque là exploités comme peones, paysans journaliers. Un ami zapatiste me racontait: « Si je n’avais pas participé à la lutte pour la terre, tout continuerait comme avant. Mon père travaillait pour l’hacienda, beaucoup, beaucoup, à la force de la machette. Malgré ça, il n’avait jamais assez pour ses enfants, c’était de l’exploitation. Avant il fallait louer son lopin de terre : Si on récoltait 10 zontes[14], le propriétaire du champs en gardait huit. Nous devions aussi semer du chaume pour lui. »

Il poursuit : « J’ai commencé à travailler à cinq ans. Je bossais de 7h00 à 15h00. Je gagnais 2 pesos la journée[15]. Il m’a fallu des années pour gagner 10 pesos. Aujourd’hui, pour un jour de travail, de l’aube au coucher du soleil, les grands propriétaires terriens donnent en moyenne 25 pesos à un adulte.»


Pour les zapatistes en revanche, tout a changé : ils se sont appropriés les terres où ils travaillent. Ils ne les ont pas demandées, ils les ont prises. C’est un véritable motif de fierté pour eux. Non seulement ils n’ont plus d’ordres à recevoir de personne, pour leur dire quand et comment travailler mais en plus, ils vivent mieux qu’auparavant puisque ce qu’ils produisent est pour eux ! Si d’aventure les récoltes surpassent leurs besoins, des coopératives se sont développées qui commercialisent leur produit selon les concepts du commerce équitable.


[14] 1 zonte = 400 épis de maïs

[15] 10 pesos équivalent approximativement à 1 euro. 2 pesos correspondent donc à une vingtaine de centimes d’euros.




3° L’HISTOIRE EST-ELLE VRAIMENT ECRITE A L’AVANCE ?


On comprend leur satisfaction : terminé d’être exploité par un patron qui s’engraisse sur votre force de travail sans vous respecter et qui vous donne l’impression de vous faire une faveur lorsqu’il vous paye une misère. La concentration des terres fertiles aux mains de quelques uns est un véritable fléau en Amérique Latine. Peu ont le courage de s’y attaquer frontalement. Pourtant, nombreux sont les peuples amérindiens sur ce continent, qui estiment que pas plus la terre que l’eau ou le vent, ne peuvent être la propriété d’une personne. Ils luttent contre une lame de fond, le libéralisme qui à l’échelle du globe et sous des étiquettes aussi diverses que des institutions comme le FMI et la Banque Mondiale ou l’Union Européenne et ses laquets, les politiques nationaux, entendent créer un grand marché mondial. Dans ce marché, rien n’échapperait aux privatisations, pas plus les services publics, que les ressources premières, la santé, la culture, l’éducation, les énergies, le cœur des hommes ; tout est vendre, tout est à acheter, tout à un prix, tout est réduit à sa vulgaire valeur marchande, le reste ne compte pas. Toute entrave à cette marche forcée imposée aux peuples depuis le sommet avec la complicité de la plupart des médias est aussitôt délégitimée, qualifiée de position archaïque. Toute proposition alternative se voit aussitôt affublée de l’imparable adjectif : utopiste.


Les zapatistes nous montrent que l’histoire n’est pas finie contrairement à ce que certains théorisaient[16] après 1989, que l’histoire n’est pas écrite d’avance. A moins qu’on laisse aux puissants le soin de l’écrire pour nous, en espérant qu’ils le feront en faisant passer notre intérêt collectif avant le leur. N’est-ce pas la l’utopie ? N’est-il pas temps de se réapproprier notre destin ? Le sous-commandant Marcos, porte-parole charismatique et l’un des fondateurs de l’EZLN a eu, en parlant d’Alain Minc, la réflexion suivante : « Quelqu’un a dit qu’être contre la globalisation, c’était comme être contre la loi de la gravitation… Et bien tant pis, à bas la loi de la gravitation ! » Il ne tient qu’à nous, comme les zapatistes de refuser les fatalismes qu’on veut nous imposer et reprendre en main l’idée de démocratie, la vraie. Pas celle qui voit des élections à intervalles régulières proposer de fausses alternatives. Non, celle qui signifie littéralement « le pouvoir au peuple », cette capacité à décider par nous-même de la voie que l’on veut suivre.



[16] Francis Fukuyama: philosophe politique états-unien, a, dans la revue Commentaires, publié en 1989, un article repris dans le monde entier, intitulé « La fin de l’histoire ». Il y expliquait que le capitalisme ayant triomphé du communisme, il allait enfin pouvoir apporter stabilité et bonheur au monde entier, ceci entraînant inéluctablement la fin des conflits. Des fois on aimerait bien que l’utopie capitaliste triomphe, malheureusement…




4° LA MENACE OPDIC


Aujourd’hui au Chiapas, les priistes, malgré tous les cadeaux clientélistes que leur a fait le gouvernement depuis le soulèvement pour les récompenser de leur fidélité, se rendent compte que les zapatistes depuis leur insurrection sont bien mieux lotis qu’eux. Bien sûr, ils pourraient s’inspirer de leur exemple et eux-aussi s’emparer des terres où ils se font exploiter mais ce n’est naturellement pas ce à quoi les incitent leurs dirigeants. Une nouvelle et importante organisation priiste, proche des paramilitaires, l’OPDIC (Organisation Populaire de Défense Indigène et Paysanne), vient de se créer. Son fondateur est le député fédéral priiste Pedro Chulin à qui l’on attribue également la création d’un autre groupe paramilitaire plus ancien et de sinistre renommée, le MIRA (Mouvement Indigène Révolutionnaire Anti-zapatiste). Certains anciens zapatistes étant passés dans les rangs du PRI, continuent néanmoins à informer en secret leurs anciens compañeros des intentions belliqueuses des priistes à leur encontre. Ainsi, il semblerait que la situation soit de plus en plus tendue. Lors de leurs assemblés, les OPDICs se chauffent et commencent à échafauder des opérations armées contre les zapatistes pour s’emparer de leurs terres. On reconnaît derrière, la main du pouvoir qui cherche par tous les moyens à diviser les amérindiens entre eux, à les pousser à l’affrontement pour mieux les affaiblir. Des ONGs reconnues, comme Global Exchange dénoncent déjà depuis un certain temps des intimidations et même des assassinats de paysans partisans de l’EZLN, perpétrés par des membres de l’OPDIC.


Quant aux autres groupes paramilitaires apparus dans les années 95, 96, comme Paz Y Justicia ou Máscara Roja, pour ne citer que ceux-là, ils ont refait leur apparition après une période de retrait. Il faut dire que les changements de pouvoir, au niveau national essentiellement, avec la défaite du PRI qui les avait jusqu’alors formés, armés, financés, et entraînés en sous-main, les a profondément déstabilisés. On a aussi vu récemment de nouveaux groupes paramilitaires apparaître dans le giron de l’OPDIC, comme Fundación Lacandona, mais je reviendrai dans des chroniques ultérieures sur la question des paramilitaires.


Trikess (FG)

( à suivre)

Reportage

INCURSION DANS L'UNIVERS CARCERAL MEXICAIN

(1ère partie)


1° LE RECLUSORIO DEL SUR


Pour arriver au Reclusorio del Sur, le pénitencier du sud, à Xochimilco, en banlieue de Mexico, on traverse des quartiers populaires. La dernière partie du chemin grimpe beaucoup. La prison est attenante au tribunal et une fois la peine énoncée, comme à Venise il y a plusieurs siècles de cela, les prisonniers n’ont pas beaucoup de chemin à effectuer. En effet, à Venise, ils n’avaient qu’un pont à traverser, qu’on appellera le pont des soupirs, car dit-on, ceux qui le traversait poussaient un déchirant soupir en admirant la beauté de la baie qu’ils ne reverraient sans doute plus jamais.


2° UNE VUE SAISISSANTE


Ici, on est très loin de Venise mais la beauté des paysages alentours doit interpeller les condamnés : en contre fonds des montagnes couvertes de forêts de résineux, et au loin une vue sur le volcan enneigé, l’Ixtaccihuatl, culminant à plus de 5000 mètres, qu’une légende présente comme la « femme couchée », une princesse aztèque qui se serait allongée là et serait morte de désespoir en croyant celui qu’elle aimait mort. La forme du volcan évoque effectivement celle d’une femme couchée sur le côté. Son amant la veillerait depuis lors, lui aussi s’étant figé sous forme de volcan, le Popocatepetl, mais qu’on n’aperçoit pas d’ici.



3° PACO EN PRISON


Au-delà de ces considérations romantiques, vous vous demandez sans doute ce que je suis venu faire aux portes d’un pénitencier mexicain, avec ma tronche enfarinée. Je viens voir un ami, Paco, que j’ai connu en 1994 et avec qui j’ai conservé toutes ces années des liens d’amitié. J’ai encore eu l’occasion de le voir l’été 2006, avec sa femme et une de ses trois filles. Paco vient d’être condamné à 6 ans de prison ferme pour une affaire de collier volé, collier dont l’existence, soit dit en passant, n’a jamais été prouvée !



4° LES DOMMAGES COLLATERAUX DU PLAN GIULANI


On assiste à une multiplication de ce genre d’aberrations à Mexico, depuis que la mairie a mis en place un plan « tolérance zéro », après avoir recruté pour ce faire, Rodolph Giulani, l’ancien maire de New-York. Ce dernier s’est rendu célèbre en appliquant la théorie de la « fenêtre cassée », qui voit lourdement condamnée toute personne convaincue d’avoir commis la moindre infraction. Dans un système néo-libéral où la police, comme tout ce qui fait partie de la fonction publique, est laissée à l’abandon, avec des salaires de misère, les primes au résultat promises aux policiers sont une aubaine. La culture du résultat pousse les moins scrupuleux à des excès de zèle, quitte à condamner des innocents, quitte à indiquer au plaignant ce qu’il doit déclarer pour que l’accusé termine à l’ombre. Enfin, pour être tout à fait honnête sur le cas de Paco, il faut préciser qu’il avait déjà un antécédent judiciaire pour lequel il avait été innocenté. Qu’importe, il en est resté une trace dans son casier judiciaire qui n’a pas du jouer en sa faveur. Inutile de dire que sa famille est atterrée : 6 ans, alors qu’il a des filles en bas âge pour un collier qui n’a probablement jamais existé, c’est très cher payé… Il a fait appel et attend le verdict.



5° AUX COULEURS EXIGEES


J’ai choisi de profiter de mon court séjour au Mexique pour lui rendre visite. A la porte, je présente une pièce d’identité et me retrouve dans le hall d’entrée avec les familles qui viennent pour les visites. N’ayant emporté que deux pantalons type treillis avec poches sur le côté, de couleur noir et beige, j’ai du acheter une paire de jeans car non seulement les poches latérales sont interdites mais également les vêtements de couleur beige (réservés aux prisonniers) et noire (réservés aux matons). On m’avait prévenu la veille de ce point, j’ai donc pu acheter tranquillement mon jeans, mais pour ceux qui seraient pris au dépourvu, les choses sont bien faites : une boutique juste en face de la prison vend des vêtements aux couleurs exigées et pour les plus humbles, louent des habits à la propreté douteuse pour quelques pesos. C’est dit-on une affaire qui tourne très bien.


6° UNE IMPROBABLE DEROGATION


Je me forme dans la queue pour obtenir un laissez-passer. En attendant, j’observe les différentes affiches placées là à l’attention des visiteurs. L’une explique qu’en cas de violation des droits humains, une plainte peut être portée auprès d’une commission de la mairie de Mexico. Une autre affiche rappelle que les portables sont interdits, de même que les vêtements beiges et noirs, etc. Une dernière affiche m’inquiète beaucoup plus. Elle énumère toutes les pièces que les visiteurs doivent fournir s’ils ont été désignés sur une liste par le prisonnier afin de pouvoir être admis comme visiteur. Cette liste est révisée environ tous les six mois. Pour ma part, je ne suis naturellement pas inscrit sur la liste et j’ai beau raconté quand mon tour arrive que je suis son beau-frère, venu spécialement pour le voir depuis la France, montrer mon billet d’avion, mon passeport (avec un billet de 200 pesos à l’intérieur, ça peut aider au Mexique) rien n’y fait. On me fait comprendre que seul Paco pourrait éventuellement aller solliciter une dérogation auprès du directeur. Je n’y crois pas beaucoup, mais laisse quand même Leticia, sa sœur qui m’accompagne passer pour expliquer la situation à Paco, qui est déjà en compagnie de ses parents.



7° VIOLENCE EXTREME


Je prends mon mal en patience. Je lance au responsable qui me refuse l’entrée que ça me semble ironique, alors que tous les gens enfermés ici ne songent qu’à sortir, qu’il me soit si difficile d’y rentrer ! Il me rétorque qu’à son sens, on laisse rentrer les gens trop facilement. Il me raconte le cas de ce petit garçon qui lui a raconté que « la dernière fois, maman était très contente parce que le monsieur lui a donné un billet de 200 pesos pour monter sur elle » ou encore le cas de cette petite fille de 10 ans découverte juste avant d’être violée toute nue. On soupçonne son père d’avoir voulu la prostituer. Il me dit qu’on n’est pas assez vigilant avec les enfants car ils ne semblent pas représenter de danger et donc on les autorise parfois à rentrer s’ils sont accompagnés même s’ils ne sont pas sur la liste. Pour leur propre sécurité, on devrait être plus regardants. Il me raconte aussi comment les gardiens doivent faire très attention et me raconte le cas de ce maton dont la famille a été menacée de mort le soir même où il a passé un coup de fil depuis l’intérieur du pénitencier sans se protéger des regards indiscrets en pianotant le numéro. Il y a deux semaines, deux gardiens ont été exécutés à l’extérieur alors qu’ils venaient de quitter la prison depuis 10 minutes.



8° BAKCHICH


Tout cela n’est pas pour me rassurer quant à la sécurité de Paco ! Le responsable finit par me confier qu’il aurait pu faire une exception pour un cas comme le mien mais que je ne suis vraiment pas assez discret : il faut reconnaître qu’au Mexique, je ne passe pas inaperçu, plutôt grand avec des cheveux longs et clairs… « Il y a d’autres responsables qui ne manqueraient pas de me demander des comptes en te voyant passer pour la première fois.» Et dire que j’ai presque failli croire à son honnêteté… Sur ce Miguel, le mari de Leticia qui nous a déposé en voiture sans rentrer lui-même, pénètre dans le hall pour me parler. Leticia vient de l’appeler avec un message à mon intention.

«- Elle a réussi à rentrer avec son portable ?

- Non, mais il y a des téléphones publics à l’intérieur. »

Ca alors ! C’est arrangé, Paco a payé 200 pesos à un maton, je dois m’adresser aux gardiens qui sont à la porte, ils ont été mis au courant. Miguel ressort et je m’approche des deux gardiens.

« - Rebonjour, je viens voir Paco C.

- Ah c’est toi ? Sors, ne reste pas là en évidence voyons ! On va venir te chercher. »



9° « TU T’APPELLES EDUARDO MARTÍNEZ »


Je n’aurai pas longtemps à attendre sur le parvis. Un gardien me rejoint bientôt, sans doute dès qu’un responsable a tourné le dos.

« Ok, dès que je te fais signe, tu rentres. Tu te diriges vers le tourniquet et tu te formes devant la fouille. Là un collègue va s’occuper de toi. Mais à l’avenir, si tu as un service de ce genre à demander, sois plus discret, reste à l’extérieur. »

Le signal ne tarde pas à arriver et je suis les consignes qui m’ont été données. Passé le tourniquet, un gardien me rejoint, et m’accompagne à la fouille pour expliquer que je n’ai pas de laissez-passer. La fouille est sommaire. Toujours accompagné du gardien, j’arrive à une table au milieu d’un long couloir où une femme me tamponne le bras, un peu comme pour une entrée en boîte, sauf que là, le "tatouage" est invisible à l’œil nu. Je passe ensuite mon avant-bras dans une boîte d’où elle vérifie aux rayons ultraviolets que le tatouage est bien lisible. Nous arrivons à un dernier point de contrôle où à l’aller je suis censé présenter mon laissez-passer et, au retour, le déposer là définitivement. Celui qui m’accompagne, d’un signe, fait comprendre à l’autre qu’on s’est arrangé, et me demande comment je veux m’appeler. Je souris alors qu’il attrape un papier parmi ceux déposés par tous les visiteurs déjà sortis : « Voilà, tu t’appelles Eduardo Martínez. Tu lui remettras ce laissez-passer en partant, et tu sortiras comme un visiteur normal. J’acquiesce de la tête, le remercie et me dirige vers une grille avec beaucoup de prisonnier derrière. Le gardien me fait signe d’entrer mais je marque un temps d’arrêt. Heureusement, j’aperçois un bras qui se lève et reconnaît Paco. Je me fraye un chemin entre les prisonniers et on se donne l’embrassade. Il me demande comment ça s’est passé avec les gardiens. Je lui réponds « comme dans un film ! » Ca fait plaisir de le revoir, même dans ces circonstances.



10° UNE SCENE SURREALISTE


Je suis surpris de me retrouver comme ça au milieu des prisonniers. On est loin des prisons françaises, du moins ce que j’ai pu en voir grâce à la télé, où les prisonniers peuvent discuter avec leur famille à travers une vitre ! A l’intérieur, je ne vois pas l’ombre d’un gardien par contre, dans le même espace, il y a des femmes, des enfants, des hommes aussi bien sûr et les prisonniers, vêtus de beige. L’administration est censée leur fournir un uniforme mais elle ne le fait pas, si bien que Paco porte des habits beiges que sa mère lui a rapportés et qu’il possédait déjà bien avant son arrestation. Je ne suis pas au bout de mes surprises. On emprunte un escalier qui nous conduit deux étages plus haut à une vaste salle de restaurant avec de grandes baies vitrées qui donne sur les montagnes boisées. Là, on rejoint à une table ses parents et sa sœur qui ont déjà sorti des victuailles d’un panier avec lequel ils sont arrivés. La scène est assez surréaliste, je comprends mieux maintenant la réponse qui m’avait été faite quand j’avais demandé comment ses filles prenaient la chose.

« - Dans un premier temps, on leur a dit que leur papa était en voyage et puis depuis que la

peine a été prononcée, elles vont le voir régulièrement.

- Et elles ne le vivent pas trop mal ?

- En fait, elles ne savent pas qu’il est prisonnier, on leur a dit qu’il travaillait là. »

Et effectivement, si on ne connaît pas les codes vestimentaires, on ne distingue pas les prisonniers de leurs visiteurs et il n’y a pas plus de gardien ici que dans le hall où j’ai retrouvé Paco.


(à suivre...)

Trikess (FG)