Plongée au coeur d'un pays complexe et fascinant

vendredi 27 juin 2008

2èmes Chroniques mexicaines

« A bas la loi de la gravitation !!!


1° UNE HACIENDA EN RUINES


Lorsqu’on est observateur des droits humains dans une communauté zapatiste au Chiapas, surtout si c’est une petite communauté[11], pour peu qu’on soit un minimum ouvert à l’échange, on entretient avec la population des liens privilégiés. Les filles vont aider les femmes à faire les tortillas à l’aube, on est invité à manger dans certaines familles, les hommes nous emmènent pécher, on se baigne avec eux dans le fleuve, on peut les accompagner à la milpa[12], on joue au foot avec les enfants, on fait la sentinelle jusqu’à l’aube avec ceux qui ont été désignés à cette fin, les jeunes nous emmènent parfois en excursion dans les environs. Seule obligation, ne jamais laisser la communauté sans observateur, mais comme on est plusieurs, on s’organise. Parfois, on nous prête des chevaux pour explorer les environs.


C’est comme ça qu’à l’été 2006, on est allé à plusieurs reprises à cheval jusqu’à une hacienda qui appartenait avant à la famille Castellanos. Ce sont des parents de l’ancien gouverneur du Chiapas, Absalón Castellanos[13], qui a fait fortune notamment dans l’exploitation du bois... En janvier 1994, beaucoup de grands propriétaires terriens qui contrôlaient des territoires immenses ont fui devant le soulèvement zapatiste. Ce fut le cas des Castellanos, que l’EZLN a tout juste autorisé à venir récupérer leur bétail après coup. Douze ans après, leur hacienda est en ruines, les zapatistes ne l’ont pas occupée et la selva a repris ses droits. Il y a quelque chose de surréaliste dans ces colonnes de style grec couvertes de lianes, vestiges saugrenus d’une splendeur édifiée avec le sang et la sueur des amérindiens


[11] Rappelons que les communautés sont les villages amérindiens fonctionnant sur le mode de la communauté [voir 1ère chronique]. Les contacts sont beaucoup plus difficiles à établir dans les grandes communautés, qui disposent généralement d’un espace à l’écart pour les observateurs et dont la population peut être fatiguée du passage de trop nombreux campamentistas qui ne se sont peut-être pas toujours comportés comme ils auraient dû. Beaucoup d’observateurs, par exemple, insistent énormément pour être à la Realidad, dans l’espoir de voir le sous-commandant Marcos. Or, ils y sont souvent en surnombre, alors que leur présence fait cruellement défaut dans de plus petites communautés, plus exposées.


[12] la milpa : le champs de maïs, souvent à flanc de coteau.


[13] Contrairement aux FARC ou autres guérillas existantes ou ayant existées en Amérique Latine, les zapatistes ont une position éthique très claire et préfèrent être mal armés plutôt que de se financer par des braquages ou des enlèvements. Absalón Castellanos a fait exception à la règle, puisqu’il est le seul à avoir été fait prisonnier en 1994 par les zapatistes. Gouverneur corrompu et cruel, il s’est illustré par la répression sanglante des mouvements sociaux sous son mandat. Cependant, il n’a pas été exécuté selon les principes de la loi du talion, nulle rançon ou échange de prisonniers n’a même été exigée pour sa libération. Il a été contraint de travailler un certain temps comme paysan afin de prendre conscience de la dureté des conditions de vie de ceux qu’il contribuait à exploiter. Puis, un jugement populaire l’a condamné pour tous ses crimes aux travaux forcés à perpétuité… Avant que cinq minutes plus tard, l’EZLN, dans sa grande magnanimité, le gracie et le libère !




2° « LA TERRE APPARTIENT A QUI LA TRAVAILLE »


Même s’ils ont délaissé les murs de la luxueuse hacienda, les zapatistes, fidèles au cri d’Emiliano Zapata (« la terre appartient à qui la travaille ») ont fait leurs ces terres où ils étaient jusque là exploités comme peones, paysans journaliers. Un ami zapatiste me racontait: « Si je n’avais pas participé à la lutte pour la terre, tout continuerait comme avant. Mon père travaillait pour l’hacienda, beaucoup, beaucoup, à la force de la machette. Malgré ça, il n’avait jamais assez pour ses enfants, c’était de l’exploitation. Avant il fallait louer son lopin de terre : Si on récoltait 10 zontes[14], le propriétaire du champs en gardait huit. Nous devions aussi semer du chaume pour lui. »

Il poursuit : « J’ai commencé à travailler à cinq ans. Je bossais de 7h00 à 15h00. Je gagnais 2 pesos la journée[15]. Il m’a fallu des années pour gagner 10 pesos. Aujourd’hui, pour un jour de travail, de l’aube au coucher du soleil, les grands propriétaires terriens donnent en moyenne 25 pesos à un adulte.»


Pour les zapatistes en revanche, tout a changé : ils se sont appropriés les terres où ils travaillent. Ils ne les ont pas demandées, ils les ont prises. C’est un véritable motif de fierté pour eux. Non seulement ils n’ont plus d’ordres à recevoir de personne, pour leur dire quand et comment travailler mais en plus, ils vivent mieux qu’auparavant puisque ce qu’ils produisent est pour eux ! Si d’aventure les récoltes surpassent leurs besoins, des coopératives se sont développées qui commercialisent leur produit selon les concepts du commerce équitable.


[14] 1 zonte = 400 épis de maïs

[15] 10 pesos équivalent approximativement à 1 euro. 2 pesos correspondent donc à une vingtaine de centimes d’euros.




3° L’HISTOIRE EST-ELLE VRAIMENT ECRITE A L’AVANCE ?


On comprend leur satisfaction : terminé d’être exploité par un patron qui s’engraisse sur votre force de travail sans vous respecter et qui vous donne l’impression de vous faire une faveur lorsqu’il vous paye une misère. La concentration des terres fertiles aux mains de quelques uns est un véritable fléau en Amérique Latine. Peu ont le courage de s’y attaquer frontalement. Pourtant, nombreux sont les peuples amérindiens sur ce continent, qui estiment que pas plus la terre que l’eau ou le vent, ne peuvent être la propriété d’une personne. Ils luttent contre une lame de fond, le libéralisme qui à l’échelle du globe et sous des étiquettes aussi diverses que des institutions comme le FMI et la Banque Mondiale ou l’Union Européenne et ses laquets, les politiques nationaux, entendent créer un grand marché mondial. Dans ce marché, rien n’échapperait aux privatisations, pas plus les services publics, que les ressources premières, la santé, la culture, l’éducation, les énergies, le cœur des hommes ; tout est vendre, tout est à acheter, tout à un prix, tout est réduit à sa vulgaire valeur marchande, le reste ne compte pas. Toute entrave à cette marche forcée imposée aux peuples depuis le sommet avec la complicité de la plupart des médias est aussitôt délégitimée, qualifiée de position archaïque. Toute proposition alternative se voit aussitôt affublée de l’imparable adjectif : utopiste.


Les zapatistes nous montrent que l’histoire n’est pas finie contrairement à ce que certains théorisaient[16] après 1989, que l’histoire n’est pas écrite d’avance. A moins qu’on laisse aux puissants le soin de l’écrire pour nous, en espérant qu’ils le feront en faisant passer notre intérêt collectif avant le leur. N’est-ce pas la l’utopie ? N’est-il pas temps de se réapproprier notre destin ? Le sous-commandant Marcos, porte-parole charismatique et l’un des fondateurs de l’EZLN a eu, en parlant d’Alain Minc, la réflexion suivante : « Quelqu’un a dit qu’être contre la globalisation, c’était comme être contre la loi de la gravitation… Et bien tant pis, à bas la loi de la gravitation ! » Il ne tient qu’à nous, comme les zapatistes de refuser les fatalismes qu’on veut nous imposer et reprendre en main l’idée de démocratie, la vraie. Pas celle qui voit des élections à intervalles régulières proposer de fausses alternatives. Non, celle qui signifie littéralement « le pouvoir au peuple », cette capacité à décider par nous-même de la voie que l’on veut suivre.



[16] Francis Fukuyama: philosophe politique états-unien, a, dans la revue Commentaires, publié en 1989, un article repris dans le monde entier, intitulé « La fin de l’histoire ». Il y expliquait que le capitalisme ayant triomphé du communisme, il allait enfin pouvoir apporter stabilité et bonheur au monde entier, ceci entraînant inéluctablement la fin des conflits. Des fois on aimerait bien que l’utopie capitaliste triomphe, malheureusement…




4° LA MENACE OPDIC


Aujourd’hui au Chiapas, les priistes, malgré tous les cadeaux clientélistes que leur a fait le gouvernement depuis le soulèvement pour les récompenser de leur fidélité, se rendent compte que les zapatistes depuis leur insurrection sont bien mieux lotis qu’eux. Bien sûr, ils pourraient s’inspirer de leur exemple et eux-aussi s’emparer des terres où ils se font exploiter mais ce n’est naturellement pas ce à quoi les incitent leurs dirigeants. Une nouvelle et importante organisation priiste, proche des paramilitaires, l’OPDIC (Organisation Populaire de Défense Indigène et Paysanne), vient de se créer. Son fondateur est le député fédéral priiste Pedro Chulin à qui l’on attribue également la création d’un autre groupe paramilitaire plus ancien et de sinistre renommée, le MIRA (Mouvement Indigène Révolutionnaire Anti-zapatiste). Certains anciens zapatistes étant passés dans les rangs du PRI, continuent néanmoins à informer en secret leurs anciens compañeros des intentions belliqueuses des priistes à leur encontre. Ainsi, il semblerait que la situation soit de plus en plus tendue. Lors de leurs assemblés, les OPDICs se chauffent et commencent à échafauder des opérations armées contre les zapatistes pour s’emparer de leurs terres. On reconnaît derrière, la main du pouvoir qui cherche par tous les moyens à diviser les amérindiens entre eux, à les pousser à l’affrontement pour mieux les affaiblir. Des ONGs reconnues, comme Global Exchange dénoncent déjà depuis un certain temps des intimidations et même des assassinats de paysans partisans de l’EZLN, perpétrés par des membres de l’OPDIC.


Quant aux autres groupes paramilitaires apparus dans les années 95, 96, comme Paz Y Justicia ou Máscara Roja, pour ne citer que ceux-là, ils ont refait leur apparition après une période de retrait. Il faut dire que les changements de pouvoir, au niveau national essentiellement, avec la défaite du PRI qui les avait jusqu’alors formés, armés, financés, et entraînés en sous-main, les a profondément déstabilisés. On a aussi vu récemment de nouveaux groupes paramilitaires apparaître dans le giron de l’OPDIC, comme Fundación Lacandona, mais je reviendrai dans des chroniques ultérieures sur la question des paramilitaires.


Trikess (FG)

( à suivre)

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