Plongée au coeur d'un pays complexe et fascinant

vendredi 27 juin 2008

3ème chronique mexicaine

LE ZAPATISME, A LA GENESE DE L'ALTERMONDIALISME


1° Un mouvement d’un genre nouveau

L’altermondialisme est un mouvement contestataire né sur les ruines du mur de Berlin. Pour faire vite, on peut dire que les altermondialistes ont tiré des leçons des désastreuses expériences soviétique ou chinoise et rejettent l’embrigadement de parti, le dogmatisme et la pesanteur d’une hiérarchie qui finit par étouffer les principes révolutionnaires. Ils ont donc adopté un mode de fonctionnement extrêmement déconcertant pour le système qu’ils tentent de renverser : ils n’ont ni leader, ni direction, ni structure établie. Ils ne sont aux ordres d’aucun pays et ne dépendent que d’eux-mêmes. Dans ces conditions, il est quasiment impossible de décapiter l’altermondialisme, d’acheter ses dirigeants, puisqu’il n’en a pas, de leur promettre des sièges, puisqu’ils ne sont pas organisés en parti ou de faire pression sur lui d’une quelconque façon si ce n’est par la brutale répression policière comme on l’a vu à Gênes, notamment. C’est l’apparition à l’échelle planétaire d’un contre-pouvoir citoyen balbutiant, mais déjà particulièrement efficace. Dans un premier temps, les médias l’ont qualifié d’anti-mondialiste, créant un amalgame douteux avec les souverainistes et autres factions d’extrême-droite qui prônent un repli sur la nation comme solution à la mondialisation néolibérale. Or les altermondialistes sont dans une toute autre logique. Ils sont résolument internationalistes et tentent d’apporter une réponse collective, bien au-delà des frontières étatiques, au capitalisme, qui lui est mondialisé depuis longtemps. Les altermondialistes, selon la formule lancée par le Monde Diplomatique, pensent eux, qu’"un autre monde est possible" et ont commencé à se battre pour y parvenir.


2° Une guérilla antimilitariste !

Alors vous me direz, quel rapport avec le zapatisme, organisé en armée, avec en son sein une hiérarchie bien établie et une structure rigide inhérente à toutes les armées, fussent-elles aux ordres du peuple pour lequel elle se bat ? Pour commencer, il faut rappeler que les zapatistes eux-mêmes, aussi paradoxale que cela puisse paraître, sont des anti-militaristes convaincus. Ils n’ont pris les armes qu’en dernier recours après que toutes les voies pacifiques et démocratiques aient été piétinées dans le sang par une dictature aussi autiste que barbare. Dans un communiqué du 6 mars 1994, le sous-commandant Marcos écrit « Nous avons décidé un beau jour de devenir soldats pour qu’un jour il n’y ait plus besoin de soldats. C’est-à-dire que nous avons choisi un métier suicidaire parce que c’est un métier dont l’objectif est de disparaître.(…) Ici nous vivions plus mal que les chiens. Nous avons dû choisir : vivre comme des animaux ou mourir en hommes dignes. » En cohérence avec leurs idées, les zapatistes ont clairement indiqué que selon eux, les membres d’une structure militaire ne doivent en aucune manière assumer une charge politique. Cela les engage naturellement. Il est ainsi exclu que les guérilleros zapatistes deviennent un parti politique puisqu’ils ont dû prendre les armes. Le simple fait que Marcos se fasse appeler sous-commandant au lieu de commandant ou généralissime est un clin d’œil qui montre bien le recul par rapport à la hiérarchie militaire.


3° Quand les citoyens se lèvent

Le mouvement zapatiste partage avec l’altermondialisme la croyance qu’un autre monde est possible (« un monde où beaucoup de mondes auront leur place »), rejette lui aussi tout dogmatisme et entretient la critique des structures rigides, à commencer par la sienne ! Mais fondamentalement, ce qui caractérise l’altermondialisme, ce sont ces grands rassemblements, regroupant des individus, des associations et des organisations du monde entier. Tous partagent une même aspiration, celle d’un monde plus juste et plus démocratique, qui ne soit plus dirigé en fonction des intérêts des multinationales. On a tous en mémoire les impressionnantes manifestations de Seattle en 1999, où des dizaines de milliers d’altermondialistes se sont opposés à une conférence réunissant 133 pays dans le cadre de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Cette réunion avait pour objet d’ouvrir d’avantage les marchés des biens, des services et des produits agricoles au dépens des populations. En dépit d’une très violente répression, la conférence sera un échec et dans ce contexte très tendu d’insurrection populaire, aucun accord ne pourra être adopté. Cet événement très médiatisé mettra en évidence le désaveu d’une partie consciente de plus en plus importante de la population mondiale. Cette dernière n’entend désormais plus voir son avenir se décider sans qu’on la consulte et contre les intérêts de l’immense majorité. Ensuite, il y aura le rassemblement de Gênes en Italie contre le sommet du G8 et des Forums Sociaux Mondiaux à Porto Alegre au Brésil en 2001, 2002, 2003 et 2005 ; en Inde en 2006, à Nairobi au Kenya en 2007. Le prochain est prévu en 2009 à Belem au Brésil. Les forums Sociaux sont des réponses citoyennes au Forum Economique Mondial qui se réunit à Davos en Suisse chaque année.


4° L’acte fondateur de l’altermondialisme

Or, si Seattle a été le premier grand rassemblement d’altermondialistes venus du monde entier à être très médiatisé, un autre l’avait précédé de trois ans, au Chiapas. Ce premier rassemblement, dans la genèse de l’altermondialisme, les zapatistes l’ont appelé avec l’ironie et l’optimisme qui les caractérisent : les Rencontres Intergalactiques. Les observateurs inattentifs n’y ont vu alors qu’une manœuvre des zapatistes pour rompre l’isolement dans lequel le gouvernement mexicain espérait bien les maintenir. C’était, nul ne le nie plus aujourd’hui, quelque chose de beaucoup plus ambitieux et d’une importance fondamentale pour la résistance au néolibéralisme. « Contre l’internationale de la terreur que représente le néolibéralisme, nous devons élever l’internationale de l’espoir. L’unité par-dessus les frontières, les langues, les couleurs, les cultures, les sexes, les stratégies et les pensées, de tous ceux qui préfèrent l’humanité vivante. L’internationale de l’espoir. Pas la bureaucratie de l’espoir, pas l’image renversée et, par là même, semblable à ce qui nous anéantit. Pas le pouvoir sous un signe ou un habillage nouveau. Mais un souffle, le souffle de la dignité. Une fleur, la fleur de l’espoir. Un chant, le chant de la vie. La dignité est cette patrie sans nationalité, cet arc-en-ciel qui est aussi un pont, ce murmure du cœur quelque soit le sang qui le vit, cette irrévérence rebelle qui se moque des frontières, des douanes et des guerres. (…) » Au-delà du style poétique de Marcos, on comprend qu’il ne s’agissait pas de soutenir les zapatistes, ou de se placer sous leur bannière. C’est la réalisation d’une des priorités que se sont fixées les zapatistes : créer des espaces démocratiques, une tâche à laquelle ils n’ont jamais renoncé au fil des années. Ce rassemblement c’est sous le mot d’ordre de « Contre le néolibéralisme et pour l’Humanité » qu’il a été lancé et des milliers de militants du monde entier y ont répondu en 1996.

Bien sûr, les zapatistes n’ont pas la prétention de revendiquer la création de l’altermondialisme. Ce mouvement était en gestation et tôt ou tard serait apparu. Mais les zapatistes ont été l’étincelle. Ils ont montré également à quel point leur vision du monde était en phase avec l’air du temps, comment ils ont su comprendre et même anticiper le nouvel esprit de résistance planétaire. Voilà pourquoi, on ne peut résumer les succès du zapatisme aux seuls acquis concernant directement les communautés zapatistes du Chiapas. Du coup de butoir donné au régime de Parti-Etat du PRI en passant par le rôle fondateur joué dans la constitution de l’altermondialisme, l’apport de ceux qui se revendiquent d’Emiliano Zapata est bien plus profond qu’on ne pourrait le soupçonner au premier abord.

(à suivre)
Trikess (FG)

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