Plongée au coeur d'un pays complexe et fascinant

vendredi 27 juin 2008

Reportage

INCURSION DANS L'UNIVERS CARCERAL MEXICAIN

(1ère partie)


1° LE RECLUSORIO DEL SUR


Pour arriver au Reclusorio del Sur, le pénitencier du sud, à Xochimilco, en banlieue de Mexico, on traverse des quartiers populaires. La dernière partie du chemin grimpe beaucoup. La prison est attenante au tribunal et une fois la peine énoncée, comme à Venise il y a plusieurs siècles de cela, les prisonniers n’ont pas beaucoup de chemin à effectuer. En effet, à Venise, ils n’avaient qu’un pont à traverser, qu’on appellera le pont des soupirs, car dit-on, ceux qui le traversait poussaient un déchirant soupir en admirant la beauté de la baie qu’ils ne reverraient sans doute plus jamais.


2° UNE VUE SAISISSANTE


Ici, on est très loin de Venise mais la beauté des paysages alentours doit interpeller les condamnés : en contre fonds des montagnes couvertes de forêts de résineux, et au loin une vue sur le volcan enneigé, l’Ixtaccihuatl, culminant à plus de 5000 mètres, qu’une légende présente comme la « femme couchée », une princesse aztèque qui se serait allongée là et serait morte de désespoir en croyant celui qu’elle aimait mort. La forme du volcan évoque effectivement celle d’une femme couchée sur le côté. Son amant la veillerait depuis lors, lui aussi s’étant figé sous forme de volcan, le Popocatepetl, mais qu’on n’aperçoit pas d’ici.



3° PACO EN PRISON


Au-delà de ces considérations romantiques, vous vous demandez sans doute ce que je suis venu faire aux portes d’un pénitencier mexicain, avec ma tronche enfarinée. Je viens voir un ami, Paco, que j’ai connu en 1994 et avec qui j’ai conservé toutes ces années des liens d’amitié. J’ai encore eu l’occasion de le voir l’été 2006, avec sa femme et une de ses trois filles. Paco vient d’être condamné à 6 ans de prison ferme pour une affaire de collier volé, collier dont l’existence, soit dit en passant, n’a jamais été prouvée !



4° LES DOMMAGES COLLATERAUX DU PLAN GIULANI


On assiste à une multiplication de ce genre d’aberrations à Mexico, depuis que la mairie a mis en place un plan « tolérance zéro », après avoir recruté pour ce faire, Rodolph Giulani, l’ancien maire de New-York. Ce dernier s’est rendu célèbre en appliquant la théorie de la « fenêtre cassée », qui voit lourdement condamnée toute personne convaincue d’avoir commis la moindre infraction. Dans un système néo-libéral où la police, comme tout ce qui fait partie de la fonction publique, est laissée à l’abandon, avec des salaires de misère, les primes au résultat promises aux policiers sont une aubaine. La culture du résultat pousse les moins scrupuleux à des excès de zèle, quitte à condamner des innocents, quitte à indiquer au plaignant ce qu’il doit déclarer pour que l’accusé termine à l’ombre. Enfin, pour être tout à fait honnête sur le cas de Paco, il faut préciser qu’il avait déjà un antécédent judiciaire pour lequel il avait été innocenté. Qu’importe, il en est resté une trace dans son casier judiciaire qui n’a pas du jouer en sa faveur. Inutile de dire que sa famille est atterrée : 6 ans, alors qu’il a des filles en bas âge pour un collier qui n’a probablement jamais existé, c’est très cher payé… Il a fait appel et attend le verdict.



5° AUX COULEURS EXIGEES


J’ai choisi de profiter de mon court séjour au Mexique pour lui rendre visite. A la porte, je présente une pièce d’identité et me retrouve dans le hall d’entrée avec les familles qui viennent pour les visites. N’ayant emporté que deux pantalons type treillis avec poches sur le côté, de couleur noir et beige, j’ai du acheter une paire de jeans car non seulement les poches latérales sont interdites mais également les vêtements de couleur beige (réservés aux prisonniers) et noire (réservés aux matons). On m’avait prévenu la veille de ce point, j’ai donc pu acheter tranquillement mon jeans, mais pour ceux qui seraient pris au dépourvu, les choses sont bien faites : une boutique juste en face de la prison vend des vêtements aux couleurs exigées et pour les plus humbles, louent des habits à la propreté douteuse pour quelques pesos. C’est dit-on une affaire qui tourne très bien.


6° UNE IMPROBABLE DEROGATION


Je me forme dans la queue pour obtenir un laissez-passer. En attendant, j’observe les différentes affiches placées là à l’attention des visiteurs. L’une explique qu’en cas de violation des droits humains, une plainte peut être portée auprès d’une commission de la mairie de Mexico. Une autre affiche rappelle que les portables sont interdits, de même que les vêtements beiges et noirs, etc. Une dernière affiche m’inquiète beaucoup plus. Elle énumère toutes les pièces que les visiteurs doivent fournir s’ils ont été désignés sur une liste par le prisonnier afin de pouvoir être admis comme visiteur. Cette liste est révisée environ tous les six mois. Pour ma part, je ne suis naturellement pas inscrit sur la liste et j’ai beau raconté quand mon tour arrive que je suis son beau-frère, venu spécialement pour le voir depuis la France, montrer mon billet d’avion, mon passeport (avec un billet de 200 pesos à l’intérieur, ça peut aider au Mexique) rien n’y fait. On me fait comprendre que seul Paco pourrait éventuellement aller solliciter une dérogation auprès du directeur. Je n’y crois pas beaucoup, mais laisse quand même Leticia, sa sœur qui m’accompagne passer pour expliquer la situation à Paco, qui est déjà en compagnie de ses parents.



7° VIOLENCE EXTREME


Je prends mon mal en patience. Je lance au responsable qui me refuse l’entrée que ça me semble ironique, alors que tous les gens enfermés ici ne songent qu’à sortir, qu’il me soit si difficile d’y rentrer ! Il me rétorque qu’à son sens, on laisse rentrer les gens trop facilement. Il me raconte le cas de ce petit garçon qui lui a raconté que « la dernière fois, maman était très contente parce que le monsieur lui a donné un billet de 200 pesos pour monter sur elle » ou encore le cas de cette petite fille de 10 ans découverte juste avant d’être violée toute nue. On soupçonne son père d’avoir voulu la prostituer. Il me dit qu’on n’est pas assez vigilant avec les enfants car ils ne semblent pas représenter de danger et donc on les autorise parfois à rentrer s’ils sont accompagnés même s’ils ne sont pas sur la liste. Pour leur propre sécurité, on devrait être plus regardants. Il me raconte aussi comment les gardiens doivent faire très attention et me raconte le cas de ce maton dont la famille a été menacée de mort le soir même où il a passé un coup de fil depuis l’intérieur du pénitencier sans se protéger des regards indiscrets en pianotant le numéro. Il y a deux semaines, deux gardiens ont été exécutés à l’extérieur alors qu’ils venaient de quitter la prison depuis 10 minutes.



8° BAKCHICH


Tout cela n’est pas pour me rassurer quant à la sécurité de Paco ! Le responsable finit par me confier qu’il aurait pu faire une exception pour un cas comme le mien mais que je ne suis vraiment pas assez discret : il faut reconnaître qu’au Mexique, je ne passe pas inaperçu, plutôt grand avec des cheveux longs et clairs… « Il y a d’autres responsables qui ne manqueraient pas de me demander des comptes en te voyant passer pour la première fois.» Et dire que j’ai presque failli croire à son honnêteté… Sur ce Miguel, le mari de Leticia qui nous a déposé en voiture sans rentrer lui-même, pénètre dans le hall pour me parler. Leticia vient de l’appeler avec un message à mon intention.

«- Elle a réussi à rentrer avec son portable ?

- Non, mais il y a des téléphones publics à l’intérieur. »

Ca alors ! C’est arrangé, Paco a payé 200 pesos à un maton, je dois m’adresser aux gardiens qui sont à la porte, ils ont été mis au courant. Miguel ressort et je m’approche des deux gardiens.

« - Rebonjour, je viens voir Paco C.

- Ah c’est toi ? Sors, ne reste pas là en évidence voyons ! On va venir te chercher. »



9° « TU T’APPELLES EDUARDO MARTÍNEZ »


Je n’aurai pas longtemps à attendre sur le parvis. Un gardien me rejoint bientôt, sans doute dès qu’un responsable a tourné le dos.

« Ok, dès que je te fais signe, tu rentres. Tu te diriges vers le tourniquet et tu te formes devant la fouille. Là un collègue va s’occuper de toi. Mais à l’avenir, si tu as un service de ce genre à demander, sois plus discret, reste à l’extérieur. »

Le signal ne tarde pas à arriver et je suis les consignes qui m’ont été données. Passé le tourniquet, un gardien me rejoint, et m’accompagne à la fouille pour expliquer que je n’ai pas de laissez-passer. La fouille est sommaire. Toujours accompagné du gardien, j’arrive à une table au milieu d’un long couloir où une femme me tamponne le bras, un peu comme pour une entrée en boîte, sauf que là, le "tatouage" est invisible à l’œil nu. Je passe ensuite mon avant-bras dans une boîte d’où elle vérifie aux rayons ultraviolets que le tatouage est bien lisible. Nous arrivons à un dernier point de contrôle où à l’aller je suis censé présenter mon laissez-passer et, au retour, le déposer là définitivement. Celui qui m’accompagne, d’un signe, fait comprendre à l’autre qu’on s’est arrangé, et me demande comment je veux m’appeler. Je souris alors qu’il attrape un papier parmi ceux déposés par tous les visiteurs déjà sortis : « Voilà, tu t’appelles Eduardo Martínez. Tu lui remettras ce laissez-passer en partant, et tu sortiras comme un visiteur normal. J’acquiesce de la tête, le remercie et me dirige vers une grille avec beaucoup de prisonnier derrière. Le gardien me fait signe d’entrer mais je marque un temps d’arrêt. Heureusement, j’aperçois un bras qui se lève et reconnaît Paco. Je me fraye un chemin entre les prisonniers et on se donne l’embrassade. Il me demande comment ça s’est passé avec les gardiens. Je lui réponds « comme dans un film ! » Ca fait plaisir de le revoir, même dans ces circonstances.



10° UNE SCENE SURREALISTE


Je suis surpris de me retrouver comme ça au milieu des prisonniers. On est loin des prisons françaises, du moins ce que j’ai pu en voir grâce à la télé, où les prisonniers peuvent discuter avec leur famille à travers une vitre ! A l’intérieur, je ne vois pas l’ombre d’un gardien par contre, dans le même espace, il y a des femmes, des enfants, des hommes aussi bien sûr et les prisonniers, vêtus de beige. L’administration est censée leur fournir un uniforme mais elle ne le fait pas, si bien que Paco porte des habits beiges que sa mère lui a rapportés et qu’il possédait déjà bien avant son arrestation. Je ne suis pas au bout de mes surprises. On emprunte un escalier qui nous conduit deux étages plus haut à une vaste salle de restaurant avec de grandes baies vitrées qui donne sur les montagnes boisées. Là, on rejoint à une table ses parents et sa sœur qui ont déjà sorti des victuailles d’un panier avec lequel ils sont arrivés. La scène est assez surréaliste, je comprends mieux maintenant la réponse qui m’avait été faite quand j’avais demandé comment ses filles prenaient la chose.

« - Dans un premier temps, on leur a dit que leur papa était en voyage et puis depuis que la

peine a été prononcée, elles vont le voir régulièrement.

- Et elles ne le vivent pas trop mal ?

- En fait, elles ne savent pas qu’il est prisonnier, on leur a dit qu’il travaillait là. »

Et effectivement, si on ne connaît pas les codes vestimentaires, on ne distingue pas les prisonniers de leurs visiteurs et il n’y a pas plus de gardien ici que dans le hall où j’ai retrouvé Paco.


(à suivre...)

Trikess (FG)


Aucun commentaire: