Plongée au coeur d'un pays complexe et fascinant

vendredi 27 juin 2008

Reportage


INCURSION DANS L'UNIVERS CARCERAL MEXICAIN

(2de partie – suite et fin)



1° LE PETIT CHAPULTEPEC


Pour qu’on puisse parler librement, Paco m’invite à le suivre « je vais lui montrer Chapultepec » annonce-t’il à ses parents. On redescend les escaliers et on arrive à une vaste zone qui fait tout le tour du bâtiment. Là encore, la scène est surréaliste, on se croirait en ville : il y a tout un tas de petits buibuis, d’aucuns vendent des tacos, il y a beaucoup d’artisanat réalisé par les prisonniers, des tobogans et des jeux pour les enfants, des couples sont allongés sur des couvertures, sous des bâches, qui forment autant de petites alcôves alignées contre le mur. Certains discutent tranquillement, d’autres regardent tout simplement les passants déambuler.


Plus loin, d’autres tentes de fortune du même style présentent la particularité d’être fermées. Paco me fait comprendre que les couples y trouvent l’intimité nécessaire à leurs ébats.

« Le prisonniers qui possédait ces tentes là vient de les revendre pour 5000 pesos car il est sur le point de sortir.

- Et il les louait ?

- Bien sûr. TOUT ici se monnaye, tout est question d’argent. Il y a aussi des petits pavillons. Tu fais la demande auprès de l’administration et une fois par semaine tu as le droit, moyennant finance, encore une fois, de passer une soirée avec ta femme. Mais si tu n’as pas envie de faire la demande toutes les semaines ou d’attendre le samedi (il y a 4 jours de visite par semaine), il y a les solutions alternatives. » me répond-il en désignant de la tête les petites tentes. Je te montrerai autre chose toute à l’heure… »




2° LE SOURIRE DE LA MOSCA


Je m’arrête à un stand et achète un petit tableau représentant la vierge de Guadalupe, vierge amérindienne, plus vénérée, dans le très catholique Mexique, que le Christ lui-même. Le travail est remarquable : de loin on croirait une peinture, en fait, c’est réalisé avec des fils habilement tendus de couleur vert, rouge et or. Il faut un sacré savoir-faire pour réussir ce tour de force. En même temps, celui qui fait ça doit avoir du temps pour arriver à cette perfection. Il n’est plus tout jeune et je ne demande pas combien de temps il a passé ici. Certains sont condamnés comme aux Etats-Unis à quelques centaines d’années de détention, chose qui m’a toujours paru ridicule…


Le jeune qui me le vend, lui, est surnommé la Mosca, la mouche. Il me suggère avec un large sourire édenté de la faire bénir par un prêtre « et comme ça on va tous sortir d’ici ! » J’imagine que pour certains, seul un miracle pourrait effectivement les tirer d’ici. En tout cas, l’endroit est très agréable. C’est bizarre à dire, mais tout ici respire la vie, les enfants qui jouent, les couples qui se prélassent comme au parc, les petits marchands de tout et de rien, etc. J’interroge Paco, amusé :

- Et ça s’appelle vraiment Chapultepec ? (Chapultepec est notamment le nom d’un parc de Mexico où l’ambiance est similaire)

- Oui, c’est vraiment comme ça qu’on l’appelle. »




3° DERRIERE LA PORTE


Paco me raconte aussi que depuis qu’il est là, il a inscrit dans un petit carnet plus de 200 mots d’argot " caneros ". « Canero, par exemple, m’explique-t’il, c’est l’adjectif qui désigne ce qui a trait à la prison. »

Je l’encourage à continuer à écrire, trouvant ça vraiment intéressant. On rediscute un petit peu des circonstances de son arrestation, de son appel pour lequel il attend une réponse. Il me confie que le plus dur pour lui et de ne pas pouvoir appuyer sa famille, ses enfants et sa femme, qui est sans emploi. Puis nous remontons.


Alors qu’on se dirige vers le restaurant, Paco bifurque à droite et ouvre une porte, salue le gars à l’intérieur et me fait signe de passer. Dans l’entrée, sur une petite étagère, des draps et des serviettes soigneusement pliés attendent qu’on les prennent. Paco me montre en tirant un rideau un des lits séparés entre eux par de minces parois. Il m’explique que c’est un des endroits les plus décents pour avoir un peu d’intimité avec sa compagne. Il n’y a probablement pas de couple à cet instant précis car on n’entend aucun bruit. Par contre, comme il n’y a aucune fenêtre, il flotte une odeur de sperme et de sueur. Pas très romantique tout ça…




4° L’ENVERS DU DECORS


De retour au restaurant, on continue à discuter Paco et moi tandis que Leticia bavarde avec ses parents. Paco m’explique que chaque jour, les gardiens extorquent les prisonniers. Chaque détenu doit verser une certaine somme quotidiennement sous peine de se faire violemment passer à tabac. Les rapports avec les gardiens se font dans les dortoirs, pas dans la zone où les visiteurs sont autorisés. « Il faut payer tous les jours, sinon tu passes vraiment un sale quart d’heure. Parfois, des inspecteurs de la commission des droits humains viennent visiter la prison. Ce jour là, les gardiens nous font savoir que celui qui aura le malheur de remettre le fruit du racket journalier devant les inspecteurs se fera massacrer. Du coup, les inspecteurs ne se rendent compte de rien. »


La société parallèle qui s'est installée dans la prison est une carricature de celle du dehors. Pour celui qui a les moyens, la vie est agréable, à l'image de ce narcotrafiquant qui a payé pour avoir son terrain de tennis au coeur de la prison. En revanche, le pauvre lui sera exposé à tous types de violences, d'exploitation. Il m’explique aussi que les amérindiens sont dans un dortoir spécial, juste en dessous des quelques prisonniers européens ou états-uniens à qui ils servent de serviteurs. Ainsi donc la prison perpétue les pires traditions coloniales…




5° L’ENFER DE LA DROGUE


Je laisse Paco avec sa famille et vais faire un tour tout seul à Chapultepec. L’ambiance y est vraiment plaisante, insouciante. Ce contraste me frappe vraiment. J’aperçois tout de même un jeune avec une pipe artisanale en train de fumer ce qui est probablement du crack sans même prendre la peine de se cacher. Pourquoi le ferait-il en effet puisque paradoxalement, dans ce lieu où les prisonniers devraient sentir le poids de la loi, c’est eux qui la font, la loi. Paco m’explique, juste avant qu’on se sépare car la fin des visites approche, qu’il y a un « parrain » par type de drogue dans la prison. La drogue entre ici sans le moindre problème. Si elle venait à manquer, il y aurait une émeute parmi les prisonniers. Les gardiens se sucrent au passage comme sur toutes les matières premières nécessaires à la confection de l’artisanat, à la nourriture qui sera revendue, etc. Certains drogués vivent un véritable enfer, n’ayant pas les moyens de leur vice et s’endettant auprès des trafiquants pour se payer leur dose. S’ils ne sont pas en mesure de régler leurs dettes d’une façon où d’une autre, après plusieurs avertissements et corrections musclées, on les retrouve avec un couteau entre les omoplates ou le crâne défoncé.


« De toutes façons, il faut toujours être sur ses gardes ici, il y a des individus très dangereux. » Je demande enfin à Paco s’il y a des membres des Maras, ces gangs ultra violents qui se sont créés entre les Etats-Unis et l’Amérique Centrale et qui sont en train de gagner le Mexique comme une gangrène. Sa réponse m’étonne beaucoup, j’aurais cru le contraire :

« Oui bien sûr, il y en a, tu les reconnais à leurs tatouages mais ici ils ne fonctionnent pas en tant que pandilla, que gang. Ici, c’est chacun pour soi. »


Trikess (FG)


La prochaine fois que je reverrai Paco, ce sera en tant qu’homme libre même si lui et moi redoutions le contraire lorsque nous nous sommes donnés l’embrassade d’au-revoir. Paco a été innocenté en appel et a depuis recouvré sa liberté. Heureusement, il avait les moyens de se payer un bon avocat qui a mis en avant les incohérences de l’accusation. Mais pour les milliers d’autres, je parle de ceux accusés à tort, qui n’en ont pas les moyens, ils continuent de croupir au Reclusorio del Sur où dans d’autres prisons du Mexique. Cet article leur est dédié.

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